La conférence donnée par Alain Denizet portait sur le voyage de noces effectué en 1853 par les époux Pelé, Henri Martial Pelé (1828-1906) et Héloïse Jenny Courtois (1833-1909).
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La conférence se tenait dans l’atelier de Félix Charpentier (Villa Charpentier à Chassant).
Mais quel rapport entre le sculpteur Félix Charpentier et les époux Pelé ?
Tout d’abord, Félix Charpentier a fait construire une maison de campagne à Chassant, à 26 km au sud de Courville et Henri Pelé habitait « La Prière » à Happonvilliers, tout près de là.
Et puis, Henri Pelé a commandé trois bustes à Félix Charpentier pour les offrir à ses trois enfants : Armand Frédéric Henri, Louise Marie Jenny et Frédéric Charles. Un descendant de l’un de ces trois enfants a offert au musée le buste dont il avait hérité.
Henri Pelé était petit-fils d’un maréchal-ferrant de Ouarville et son père était négociant en vins à Courville.
Il est fils unique et son père l’envoie faire ses études à Orléans. Il se marie le 25 mai 1853 avec Héloïse Jenny Courtois, dont le père est également négociant. Henri apporte 50 000 francs en dot et Jenny 30 000. Elle est d’un milieu bourgeois, sa grand-tante est la belle-sœur du Conventionnel Girondin Brissot. Jenny a suivi des cours de dessin mais elle a surtout appris à conduire un ménage, à élever des enfants. Travail de femme ! Ce voyage est pour elle l’occasion de voyager, de s’échapper de son monde confiné. Impensable à lépoque pour une jeune fille de voyager seule !
Henri Pelé était donc un notable de la région ; plus tard, il recevra Paul Deschanel alors député du canton de Nogent-le-Rotrou (1889).
Les époux partent en voyage de noces du 31 mai au 27 juillet 1853 (six semaines après le mariage car, avant de partir, il fallait faire les visites de courtoisie) pour deux mois, Orléans, Bordeaux, les Pyrénées, Montpellier, Marseille, Dijon, Paris. Et ils racontent en textes (Henri) et dessins (Jenny) leur voyage…
Jenny et Henri sont riches et cultivés, ils peuvent se permettre de voyager deux mois.
La mode des voyages de noces vient d’Angleterre et date de 1830.
C’est, pour les mariés, l’occasion de se retrouver seuls, et de découvrir le plaisir sexuel car les rencontres avant mariage se faisaient sous la surveillance des parents.
En 1845, Sophie Johanet raconte son voyage de noces à travers l’Allemagne et l’Italie pour aller rencontrer le Comte de Chambord, dit « Henri V », candidat légitimiste.
De même, Caroline Flaubert, sœur de l’écrivain. part en voyage de noces en Suisse en 1845.
Faire un voyage de noces était exceptionnel à l’époque et ne concernait pas le commun des mortels. Pas de voyage de noces pour les paysans beaucerons, raconte Gaston Couté dans Le foin qui presse.
À partir de 1875, le voyage de noces devient très à la mode, toujours chez les bourgeois.
La presse raconte dans la rubrique des faits divers les malheurs plus ou moins dramatiques, arrivés parfois aux mariés : noyade, chute de train….
Les voyages sont déconseillés par certains médecins, surtout pour les femmes qui seront peut-être enceintes au cours du voyage.
Les guides touristiques font leur apparition, notamment le guide Richard (1853, 630 pages), le guide Chaix ; ils abondent en conseils aux voyageurs, donnent des indications budgétaires. Il faut compter 1500 F pour le voyage, soit l’équivalent de 35 000 € (27 f par pour le couple au minimum). À savoir qu’un instituteur de campagne gagne 700 F par an.
Le carnet qu’Alain Denizet a consulté aux Archives Départementales, est un carnet manuscrit de 50 pages. Le voyage de noces dure 2 mois, Henri s’arrête de temps en temps pour rencontrer des collègues négociants en vins.
C’est le premier voyage de noces raconté et aussi le plus long.
Au cours de ce voyage, ils parcourent 2700 km dont 1200 km en diligence, à raison de 10 km/h. La diligence pèse 4 à 5 tonnes, en terrain montagneux, cela doit être difficile. Le trajet proprement dit dure 11 jours et certains trajets se font de nuit.
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Le nombre d’étapes est important, (32), les époux sont curieux et s’émerveillent de ces paysages nouveaux, eux qui sont habitués aux plaines de Beauce. Dans le carnet, ils parlent des Grecs, des musulmans rencontrés à Marseille, d’un paysan pyrénéen très cordial mais ne parlant pas français.
Les Landes sont un « désert avec des fondrières, des flaques d’eau et pas la moindre trace de cultures, ni de végétation, si ce n’est quelques fougères ». (le reboisement des Landes n’aura lieu que quelques années plus tard, en 1857).
Ils mettent des notes aux hôtels, TB, B, un hôtel espagnol est noté « Très mal » !
Dans les Pyrénées, Henri regrette que le bruit des cascades empêche son âme de se recueillir.
Il nomme une ou deux fois seulement son épouse, utilisant plutôt « nous » ou « je ».
Le carnet n’est pas très détaillé en ce qui concerne les visites, il nous fait part de leur émerveillement face aux beautés de la nature, surtout dans les Pyrénées. Aucune évocation de leurs sentiments amoureux, on a l’impression qu’il s’agit d’amis voyageant ensemble plutôt que de jeunes mariés. Henri ne parle pas non plus des événements qu’ils ont pu rencontrer au cours de leur voyage, : à Toulon, ils contournent le vaisseau Iéna en partance pour l’Orient mais ne parlent pas de l’imminence de la guerre de Crimée qui débutera deux mois plus tard.
Alain Denizet a publié en 2024 le récit de ce voyages de noces : texte intégral du carnet d’Henri, dessins de Jenny et reproductions de gravures des sites visités ainsi que ses propres commentaires.
le site d'Alain Denizet ; CLIC
quelques pages du livre : CLIC