• le grand hiver de 1709, La Chapelle-Forainvilliers (28)

    Lors de mon passage à la mairie de La Chapelle Forainvilliers (Eure-et-loir), j'ai lu ce texte qui parle du terrible hiver de 1709. De nombreux curés ont parlé de cet hiver dans les registres paroissiaux.

    L’an mil sept cent neuf l’hiver a été le plus rude qu’on ait remarqué depuis cent un an, et le froid si grand qu’il a gelé les noyers, le pluspart des arbres, les plantes, et les bleds de sorte que le bled vers la fin du mois d’avril  a valu jusqua vingt deux  écus c’est à dire soixante et six livres, l’orge autant, l’avoine douze à treize livres, les poids gris dix sept à dix huit livres, les poids verts vingt livres et plus, la vesse quinze à seize livres ; on a semé un quantité d’orge cette année et le peuple a beaucoup souffert de la manque du grain parce qu’il s’est trouvé extrêmement gueux après plusieurs années de guerre dans laquelle étoit Louis quatorze roy de France pour soutenir dans le royaume d’Espagne son petit fils marié à une fille du duc de Savoye ; il avoit à le deffendre contre l’Empereur qui vouloit faire Roy d’Espagne son frère l’Archiduc, contre l’Angleterre, la Hollande, le Dannemarcq, le Portugal, une partie de la Pologne divisée, le Moscovite et le Duc de Savoye, ainsy le peuple françois a souffert d’extremes misères dans tous ces tems facheux tant par la disette que par les impots extraordinaires qu’on levoit sur luy ; dans la suite des tems on me seaura gré d’avoir fait cy cette remarque c’est le curé de la Chapelle qui escrit icy.

    La guerre dont il est question est la guerre de succession d’Espagne. A la mort de Charles II, il y a deux prétendants au trône d’Espagne : Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, marié à Marie Louise de Savoie (il deviendra roi sous le nom de Philippe V d’Espagne) et l’archiduc Charles de Habsbourg, frère de l’Empereur d’Allemagne joseph I.

       

    L’orthographe du texte original a été respectée (Danemarcq, vesse (pour vesce, légumineuse qu’on mangeait en temps de famine…)

     Cet hiver a commencé le 6 janvier 1709, jour des rois. Il a fait jusqu’à –25° à Paris. La mer avait commencé à geler. La famine qui s’ensuivit (accompagnée d’épidémies)  causa 800 000 morts (la population de la France était de 22 millions d’habitants)

     Un livre très intéressant « Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi) de Marcel Lachiver (Fayard)

     

    Un autre curé, celui de Mulsanne (Sarthe) raconte aussi :

     

    L'an 1709, le jour des Rois, 6 janvier, il s'éleva un vent si froid vers le midi, qu'il coupait le visage. Ensuite, il neigea le lendemain deux ou trois jours suyvants tellement que la neige fut assez haute sur la terre. Il tomba ensuite quelque pluie froide tellement qu'il faisoit très -mauvais marcher tant pour les hommes que pour les chevaux. Il fit ensuite des gelées fort après, qui durèrent environ six semaines. Il fit si grand froid pendant tout ce temps que le vin et autres boires gelèrent dans les meilleures cuves. Le verre avec qui l'on buvoit prenait même aux lèvres. Le pain geloit sous les couettes des lits ou l'on se couchoit. Si l'on se réchauffoit par devant l'on geloit par derrière. Au bout des susdites six semaines, il vint un dégel qui fit fondre toutes les neiges restées sur la terre, après quoy la gelée recommença tout de nouveau, ce qui fit beaucoup plus de tort que les autres gelées, en sorte que les blés gelèrent presque tous aussi bien que la vigne et la plus grande partie des arbres, surtout les noyers, châtaigniers, pêchers, abricotiers, sapins fleurs et autres choses dont le détail serait trop long. Le blé qui ne valait à Noel que 10 sols le boisseau, mesure du Mans, commença à renchérir vers le commencement de février, mais sur la moitié et la fin d'avril il fut horriblement cher et valut depuis ce temps jusqu'au mois de juillet 1709, temps de la nouvelle récolte, six à sept francs le boisseau, mesure du Mans. Le vin qui ne valait que douze à quinze livres la pipe au Château du Loir renchérit horriblement et valut jusqu'à cent et six vingt livres la pipe, et les autres boissons en proportion. J'affirme cecy exact et véritable pour l'avoir vu, en foi de quoi j'ai apposé mon seing au pied, le quatorzième jour d'août 1710.

    Signé : M Levasseur, prêtre indigne, curé de Mulsanne .

     

     

     

     

    Pipe = 480 pintes

     

     

     

     

     


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