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La maison Caillebotte à Yerres (2) : l'intérieur
Quand la ville d’Yerres l’acquiert, la maison n’avait conservé que ses murs. Il ne restait rien du mobilier ni des décors.
Il existait une documentation très complète, faite d’actes de ventes, d’inventaires après décès, de photographies détenues par la famille, de descriptifs et bien sûr les tableaux du peintre. Des sondages ont été faits au niveau du sol pour retrouver des traces des anciennes cloisons. Les murs et les plafonds ont été grattés. Tout a été refait à neuf mais dans le style de l’époque. C’est magnifique. La réhabilitation s’est faite en moins d’un an grâce à la participation de l’association des Amis de la maison Caillebotte, de la DRAC, du musée Jacquemart-André, du musée du Louvre, du Mobilier National qui ont prêté ou permis la copie des éléments de décor. Les meilleurs artisans d’art ont travaillé sur ce projet, notamment Pierre Frey pour les tissus d’ameublement.
Grâce aux commentaires de Virginie, notre conférencière, nous avons eu l’impression de vivre le quotidien de la famille. J’aimerais bien vivre dans cette maison, il y a même un très bel ascenseur qui m’a permis d’épargner mon genou…
Dans le vestibule, tout a été refait, la déco, le sol, les murs.
Les portraits au pastel exécutés par Jules Bailly (1796-1876) représentent les membres de la famille Caillebotte : 1 Martial, le père ; 2 - Céleste Daufresse, la troisième épouse ; 3 – Alfred, fils du premier mariage ; 4 – Gustave, le peintre ; 5 – René ; 6 - Martial
Un peu de généalogie :
Martial Caillebotte (1799-1874), marchand drapier de Domfront, avait fait fortune en vendant des draps aux armées napoléoniennes. Il se maria trois fois : avec Adèle Zoé Boissière (1810- 1836) dont il eut une fille, Léonie, morte à 6 ans et un fils, Alfred (1834-1896), prêtre, pour qui il fera construire la chapelle dans le parc.
De son deuxième mariage avec Eugénie Joséphine Le Masquerier (1813-1844), il eut un fils, Max, mort à un jour.
De son troisième mariage avec Marie Céleste Daufresne (1819-1878), il eut trois enfants : Gustave (1848-1894), le peintre ; René (1851-1876) et Martial (1853-1910), compositeur et pianiste. La descendance se poursuit avec ce dernier enfant qui se marie avec Marie Minoret et a deux enfants : Marie « Jean » (1888-1917) et Elisa « Geneviève » (1890-1986) qui se marie avec Jean Léon « Albert » Chardeau. (entre guillemets j’ai mis le prénom usuel car au XIX è siècle c’était par le troisième prénom que les gens étaient connus.). Le nom de Caillebotte est donc perdu, du moins pour cette branche-là.
À droite du vestibule, une enfilade de pièces : la salle à manger, le salon des dames, la salle de billard.
À gauche, la billetterie, le vestiaire, les toilettes ont reçu un décor rappelant la cuisine d’origine. Les carreaux ont été refaits par Almaviva qui s’est inspiré du Delft traditionnel mais il s’est amusé à insérer des tableaux de Caillebotte !
La cuisine était évidemment une pièce importante pour Borrel !
Pierre Frédéric Borrel avait racheté en 1816, le restaurant « Au rocher de Cancale » fondé en 1795 au n° 59 rue Montorgueil, par Balaine, un ancien vendeur d’huîtres. On y servait des huîtres bien sûr, mais bien d’autres mets. Borrel fait faillite et le restaurant ferme en 1846 et rouvre sous le même nom rue Richelieu puis revient rue Montorgueil, mais en face, au n° 78 où il existe encore. Borrel était célèbre et a publié en 1825 son « nouveau dict de cuisine, d’office et de pâtisserie ». Parmi ses clients, on peut citer Balzac (qui cite Borrel 39 fois dans la Comédie humaine, La cousine Bette, La Rabouilleuse, Un début dans la vie...), Victor Hugo, Alexandre Dumas père, Brillat-Savarin. « la carte des dîners de l’époque était pantagruélique : 10 entrées de mouton, 17 entrées de veau, 11 entrées de bœuf, 22 de volaille, 27 entremets et 30 desserts. »
extrait de « La Rabouilleuse » :
« Retrouver Paris ! Savez-vous ce que c’est, ô Parisiens ?
C’est retrouver… la cuisine du Rocher de Cancale…
pour les gourmets qui savent l’apprécier,
car elle ne se fait qu’à Montorgueil. »Dans un ancien guide de ce temps, on peut lire : « Les gastronomes à voiture, qui fréquentent le Rocher de Cancale, peuvent aller visiter la demeure enchantée du successeur de Balaine : ce chef d’œuvre d’architecture, selon le désir du propriétaire, efface les maisons les plus élégantes de tous ses voisins ; quelques-uns sont pairs de France, banquiers, etc. Une bibliothèque de 6000 volumes, dont cependant nous ne garantissons pas le choix, une glace de 8000 francs, dans un boudoir, des meubles d’un prix infini, et du goût le plus nouveau, prouveront aux curieux jusqu’où peut aller la petite gloriole d’un bon cuisinier, et combien il a dû enfler la carte de son restaurant pour fournir à de semblables dépenses. M. Borel vraiment, est le Rothschild de la Gastronomie.
Voitures : rue Saint-Martin, n° 247. Prix 1fr.50c
Départ de Paris, deux fois par jour, 7h du matin et 5h du soir, retour idem."Un site qui montre le restaurant autrefois et maintenant : clic
photo internet :
Borrel possédait aussi le Café Frascati, maison de jeu, restaurant, réputé pour ses glaces. On dit que c’est dans ce café que fut inventée la religieuse.
La salle à manger reprend le décor créé entre 1820 et 1820 et évoque le Paris de Borrel. La veuve Biennais et la famille Caillebotte avaient conservé le décor de Borrel. À l’origine, il y avait huit panneaux de Corot sur les murs. Pour la restauration, on a décidé de mettre du papier peint. Cette technique était à la mode début 19 è . C’est la manufacture Zuber, qui existe depuis la fin du XVIII è, qui a réalisé les papiers peints d’après des dessins réalisés en 1822 par Pierre-Antoine Mongin. Les thèmes sont l’eau, le pont, un temple, c’est-à-dire ce que nous voyons dans le parc. Ils rappellent les papiers peints panoramiques, très à la mode. Le château de Syam, dans le Jura, a conservé des papiers peints de l’époque de Borrel. Le mobilier a été prêté par le Mobilier National. Sur les consoles, la table et le dressoir en acajou, est exposée de la vaisselle de Creil. Les chaises sont de deux sortes : les unes en palissandre avec filets en citronnier et les autres en bois très clair. Borel accueillait ici jusqu’à trente convives.
Borrel avait été maître d’hôtel chez le ministre de l’intérieur pendant le premier Empire, Jean-Pierre de Montalivet.
Une petite parenthèse : Le cuisinier était un personnage important chez les nobles, par exemple Antonin Carême qui travailla pour Talleyrand au château de Valençay. Antonin Carême, « le roi des cuisiniers, le cuisinier des rois » était un génie. Talleyrand lui avait demandé 365 jours de menus, sans répétition et avec des produits de saison. Carême est l’inventeur de la toque et de nombreux desserts : les profiteroles, la charlotte, le vol-au-vent, les meringues à base de miel et d’amandes. Il était célèbre pour ses pièces montées, très hautes, en pâte d’amande, sucre et pâtisserie et en forme de temples ou ruines antiques. Le service se faisait « à la française », c’est-à-dire que tous les plats étaient présentés en même temps. Les morceaux étaient différents selon le rang des invités. On dit que c’est Antonin Carême qui introduisit le « service à la russe » où les plats sont servis les uns après les autres.
Le salon des Dames est en jaune et vert. Dans ce salon, les dames brodaient, cousaient, prenaient le thé pendant que les hommes se réunissaient dans le fumoir et le salon de billard. Les meubles sont en acajou et palissandre. Le tapis vient de la Savonnerie. Les peintures d’origine avaient été faites par Louis Lafitte. Elles ont été perdues. Pour créer les papiers peints en grisaille, on s’est inspiré de La Malmaison. Ils racontent l’histoire de Psyché. Pour créer ces papiers peints, on met un fond et on imprime à la planche de bois plusieurs fois.Les meubles et la pendule proviennent du Mobilier National.
La salle de billard français (il n’y a que trois boules) donne sur le parc. Celle pièce a été ajoutée par Borrel ainsi que les deux petites pièces de chaque côté, salon de lecture et salon de musique. La pièce de billard a été refaite d’après le tableau inachevé de Gustave Caillebotte. Il restait un seul morceau du parquet au point de Hongrie, une seule des deux cheminées (en marbre « peau de pêche » de Carrare) et un autre élément. Dans les niches en bois (trompe-l’œil qui imite la cheminée), sont exposés des vases chinois. Caillebotte n’a réalisé que deux tableaux en intérieur, 20 sur l’eau et 8 du potager. Le tableau est inachevé, Caillebotte avait sans doute prévu de peindre un second joueur à gauche. La lumière est très belle, et se reflète sur le bout des chaussures.
À droite, se trouve le salon de musique de Zoé Caillebotte. C’était la cousine de Gustave et la sœur de Marie, la jeune fille qu’on voit devant à gauche sur le tableau représentant les femmes cousant devant le Casin. À gauche de l’entrée, on voit un petit meuble ravissant, appelé « billet-doux ». Le tissu des murs et des meubles a été fait par Pierre Frey sur motifs de Braquenié.
À gauche, le petit salon de lecture contient près de 6000 ouvrages dont le dictionnaire de la gastronomie française de Borrel.
À l’étage, nous avons la même enfilade de pièces qu’au rez-de-chaussée.
La chambre à coucher a été créée par le veuve Biennais. Après avoir acheté la maison en 1844, elle installe dans cette chambre les meubles de son mari tabletier, ébéniste et orfèvre. Il avait fourni les nécessaires de campagne militaire pour Bonaparte. Le futur empereur venait s’approvisionner au « Singe Violet » et Martin-Guillaume Biennais n’était pas exigeant sur le paiement. L’empereur lui en fut reconnaissant et Biennais devint le fournisseur exclusif des meubles impériaux. C’est lui qui fabriqua la couronne du sacre. Les meubles de la chambre, fabriqués par Biennais sont le lit à « la polonaise », la commode de toilette, la psyché, le chevet, le secrétaire à abattant, la table. Les meubles Biennais ont été vendus en 1962. Ils ont été retrouvés en 2016 chez Sotheby’s lors de la vente des biens de l’hôtel particulier de Robert Zellinger de Balkany. La ville de Yerres a eu l’autorisation de préempter, à titre exceptionnel.
Le masque d l’empereur, dit de «Borella », était exposé.
Les autres salles sont petites et desservies par un couloir. Elles sont consacrées à Gustave Caillebotte et à ses frères.
Alfred Caillebotte était le demi-frère aîné. Il a été curé de l’église Saint-Georges de la Villette puis de notre-Dame de Lorette. Il a consacré sa vie aux plus démunis.
Martial Caillebotte était philatéliste et photographe comme Gustave. Il était compositeur et musicien et aussi amateur de faïences. Sa femme, Marie Minoret, ne voulait pas fréquenter Gustave qui avait une liaison avec son modèle, Charlotte Berthier. Gustave et Martial ont continué à se voir en cachette.
les chaussures de Marie Minoret :
Une salle est consacrée aux domaines dans lesquels le peintre excellait.
La peinture, bien sûr. Son père lui avait fait aménager un atelier rue de Miromesnil et ici , Caillebotte utilisait l’atelier que Borrel avait fait construire, sans doute pour y accueillir des artistes.
Gustave Caillebotte était un mécène et achetait les toiles à ses amis, plus pauvres. Il acheta 16 toiles à Monet qui lui en acheta trois. Il poussait les enchères pour augmenter la cote de ses amis peintres.
Il fit un testament en 1873 et 1883 dans lequel il léguait ses tableaux au musée du Luxembourg et au Louvre. Il léguait 67 tableaux de Degas, Pissaro, Renoir, Monet… L’État refusa une partie de ce legs et n’en prit que 38. Son frère Martial récupéra les autres qui furent vendus au fur et à mesure des successions, ce qui a causé le départ des toiles vers les USA.Les tableaux des impressionnistes étaient méprisés. Gérôme (le peintre orientaliste) disait : « Nous sommes dans un siècle de déchéance et d’imbécillité. C’est la société entière dont le niveau s’abaisse à vue d’œil… Pour que l’État ait accepté de pareilles ordures, il faut une bien grande flétrissure morale. »
Caillebotte , très lucide, écrivait «… seulement comme je veux que ce don soit accepté et le soit de telle façon que ces tableaux n’aillent pas dans un grenier ni dans un musée de province … il est nécessaire qu’il s’écoule un certain temps… jusqu’à ce que que le public, je ne dis pas comprenne, mais admette cette peinture. Ce temps peut être vingt ans ou plus».
Ce testament est très beau, plein de générosité envers ses proches et ses amis peintres.
Artistes
Œuvres retenues
parmi celles proposées
pour le legsŒuvres non retenues
parmi celles proposées
pour le legsPaul Cézanne
2 huiles sur toile
Edgar Degas
7 pastels
Edouard Manet
2 huiles sur toile
1 huile sur toile
Jean-François Millet
2 dessins
Claude Monet
8 huiles sur toile
8 huiles sur toile
Camille Pissaro
7 huiles sur toile
10 huiles sur toile
Auguste Renoir
6 huiles sur toile
2 huiles sur toile
Alfred Sisley
6 huiles sur toile
3 huiles sur toile
Gustave Caillebotte s’intéressait au yachting et devient architecte naval. Il a construit des bateaux et était bon régatier.
Il était horticulteur et a peint des fleurs. Il avait installé une serre au Petit-Genevilliers où il a habité après Yerres.
On monte à nouveau quelques marches pour accéder au second étage. Sur les murs de l’atelier, sont accrochées des reproductions de toiles qui ont été réalisées ici.
Il y a aussi, à cet étage, une salle dans laquelle sont projetés des documentaires sur la vie de la famille Caillebotte et sur les travaux de restauration. Malheureusement, elle était fermée.
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Commentaires
Effectivement c'est un vrai musée; cela a drôlement changé. Une des soeurs de Pierre, celle qui fait de l'encadrement d'art, a exposé une fois dans cette maison, enfin dans l'Orangerie certainement.
La cuisine bleue, c'est pour moi cela, vraiment trop jolie. Bises Monique