• Légendes et sorcellerie en Berry

     Mais la journée n’est pas terminée : Nicole nous donne rendez-vous à 21 h 30 dans le jardin en face de l’hôtel pour nous raconter des histoires de sorciers et de birettes. Les carrefours étaient des lieux diaboliques, lieux de sabbats. Aux Etats-Unis, la légende dit qu’en 1930, Robert Johnson rencontra le Diable à un carrefour. Il lui vendit son âme contre le don de jouer divinement le blues (« Crossroads » était né!)

     Mais revenons chez nos Berrichons. Autrefois, on pendait les sorciers aux carroirs (ce sont les carrefours). Par exemple en 1582, au Carroi de Marloup (carrefour des mauvais loups). Un enfant de treize ans, Bernard Girault, accusa cinq hommes et une femme de l’avoir ensorcelé. (lire « Les sorciers du carroi de Marlou » Nicole Jacques-Cgaquin et Maxime Préaud)

     Pour assainir ces endroits diaboliques, l’Église y fait installer des croix de carrefours.

     Certaines femmes, surtout les vieilles, étaient considérées comme sorcières parce qu’elles utilisaient des plantes médicinales pour soigner, d’autres avaient le don de “barrer le mal”. Leur expérience faisait peur aux gens, aux médecins en titre, il était facile de les accuser… (cela me fait penser au livre « Sorcières » de Mona Chollet. C’est aussi le thème de « La petite Fadette » (fadette = fée, sorcière)

     Outre les sorciers, il y avait des meneux de loups, des laveuses de nuit, des feux follets, des lubins (ou lupins). Toutes ces créatures sont citées dans les légendes rustiques, André, Jeanne, romans de George Sand.

     La chasse à baudet (ou bôdet) ou chasse-à-Ribaud  est un bruit qu’on entend à n’importe quelle heure de la nuit. On dirait un nombre considérable de voix de chiens de différentes grosseurs et, par-dessus tout, la voix forte et grave d’un gros dogue accompagnant par intervalles égaux, ce concert discordant. Cela vous passe au-dessus de la tête à une très faible hauteur, mais on ne voit absolument rien. Cela suit, de préférence, les bas-fonds, les prairies, les lieux solitaires.

     

     

    Pour conjurer le sort, il suffit d’un s de taupe ou trèfle à quatre feuilles cueilli par une vierge une nuit de Saint Jean. On peut aussi aller trouver un leveur de sort

     Les lupins sont des animaux (« lubin » signifie grande bête) qui ont une haleine repoussante. lls se tiennent sur deux pattes et parlent entre eux leur propre langage, inconnu des hommes. Si un humain passe à leur portée sans les saluer, ils se mettent à quatre pattes et bondissent sur lui pour le dévorer.

     Nicole nous lit la légende des lubins écrite par George Sand (« Légendes rustiques ») :

    Légendes et sorcellerie en Berry

     

    LUBINS ET LUPINS.

     Les lupins (ou lubins) sont des animaux fantastiques qui, la nuit, se tiennent debout le long des murs et hurlent à la lune. Ils sont très peureux, et si quelqu’un vient à passer, ils s’enfuient en criant : Robert est mort, Robert est mort !

     Maurice SAND.

     Il ne faut pas trop regarder les grands murs blancs au crépuscule, encore moins au clair de la lune. On pourrait y voir la hure. En Normandie et dans plusieurs autres provinces, la hure se promène le long des treilles, on ne sait guère à quelle intention, si ce n’est pour empêcher les enfants d’aller voler le raisin. Elle serait donc au nombre de ces esprits gardiens qui descendent en droite ligne, ainsi que les autres fadets domestiques, des lares vénérés de l’antiquité.

     Quoi qu’il en soit, la hure est fort vilaine et il y aurait de quoi mourir de peur si on s’obstinait à étudier son profil reflété sur les murailles. Les Grecs et les Romains avaient l’imagination riante ; ils peuplaient de charmantes divinités les arbres, les eaux et les prairies. Le moyen-âge a assombri toutes ces bénignes apparitions. Le catholicisme, ne pouvant extirper la croyance, s’est hâté de les enlaidir et d’en faire des démons et des bêtes, pour détourner les hommes du culte des représentants de la matière.

     Cependant, il n’a pas réussi à les rendre tous haïssables et pernicieux, et bon nombre des esprits de la nuit sont demeurés inoffensifs. C’est bien assez qu’ils aient consenti à revêtir des formes bizarres et repoussantes qui les empêchent de séduire les humains.

     Les lubins sont de cette famille. Esprits chagrins, rêveurs et stupides, ils passent leur vie à causer dans une langue inconnue, le long des murs des cimetières. En certains endroits on les accuse de s’introduire dans le champ du repos et d’y ronger les ossements. Dans ce dernier cas, ils appartiennent à la race des lycanthropes et des garous, et doivent être appelés lupins. Mais chez les lubins, les mœurs s’adoucissent avec le nom. Ils ne font aucun mal et prennent la fuite au moindre bruit.

     Cependant, il ne vaudrait rien de s’aboucher avec eux. Ils ont un certain mystère à l’endroit de Robert-le-Diable ou de tout autre Robert dont on n’a pu saisir la légende, et ce mystère a peut-être pour châtiment l’humiliation d’une figure horrible et l’angoisse du perpétuel tourment de la peur.

     Sont-ils les descendants des fameux frères lubins et loups-garous de Rabelais ? Qui sera assez épris de ces recherches étymologiques pour aller de leur demander ?

     Je ne sais si c’est aux lupins que le petit tailleur bossu de Saint-Bault eut affaire. On le croirait, d’après les circonstances de son histoire. La voici telle que j’ai pu la recueillir.

     Un soir que notre bossu passait le long du cimetière, il y vit une bande d’esprits en forme de laides bêtes qui ressemblaient à des chiens noirs ou à des loups et que, pour faciliter notre récit, nous appellerons lupins bien qu’ils ne nous aient été désignés sous aucun nom particulier. Soit que ces esprits-bêtes fussent d’une race plus hardie que les lubins et lupins ordinaires, soit que le tailleur fût si laid, si laid, qu’il ne leur fit pas l’effet d’un chrétien, ils ne bougèrent tout le temps qu’il passa devant eux. Ils se contentèrent de le regarder avec leurs yeux qui brillaient comme du sang de feu, et à ouvrir leurs vilaines gueules qui avaient si mauvaise haleine que le tailleur en fut empesté.

     Pourtant, comme il avait grand’peur, ne les ayant aperçus que lorsqu’il était au milieu de la file, et qu’il avait autant de chemin à faire pour reculer que pour avancer, il n’osa point risquer de les offenser en se bouchant le nez ; il passa en faisant le gros dos, encore plus qu’il n’en avait l’habitude.

     Ce dos courbé plut aux lupins, qui s’imaginèrent que c’était une manière de les saluer, et comme ils n’ont pas l’habitude de voir des gens si honnêtes avec eux, ils en furent fiers et se mirent à tirer tous la langue et à remuer la queue comme des chiens, ce qui est apparemment aussi pour eux un signe de contentement et de fierté.

     Le tailleur essaya de raconter son aventure ; mais tous ses voisins se moquèrent de lui, disant qu’il pouvait bien rencontrer le diable en personne et le faire fuir, vu qu’il était encore le plus vilain des deux.

     Comme notre bossu allait en journée à une métairie qui était à trois bonnes portées de fusil du village, et qu’il avait à revenir par le chemin qui longe le cimetière, il se sentit envie de coucher où il était. Mais le métayer lui dit en ricanant : « Non pas, non pas, tu es un compère trop à craindre pour les femmes d’une maison, je ne dormirais pas tranquille, te sachant si près de mes filles. Si tu as peur pour t’en aller, un de mes gars te fera la conduite. Bois un coup en attendant, car quand ton aiguille s’arrête, ta langue trotte d’une façon divertissante et l’on a du plaisir à écouter ta babille. »

     En effet, le bossu était beau diseur et plaisant. Le vin du métayer était bon, et notre homme s’oublia jusqu’à dix heures du soir en si bonne compagnie. Quand il fallut s’en aller, il ne se trouva personne pour le conduire, tous les gars dormaient debout et, quant à lui, il se sentait si bien réconforté par la boisson, qu’il ne craignit plus de se mettre seul en route.

     Il arriva sans peur jusqu’au grand mur, se persuadant qu’il avait rêvé ce qu’il avait vu la veille et regardant de tous ses yeux, avec la confiance qu’éclaircis par le vin, ils ne verraient plus rien que l’ombre des arbres, jetée sur le mur blanc par la lune et agitée par l’air de la nuit.

     Mais il vit les lupins dressés debout devant le mur, absolument comme la veille. Allons ! se dit le pauvre bossu, ils y sont encore ! Tant pis et courage ! S’ils ne me font pas plus de mal qu’hier, je n’en mourrai pas. Et il se mit à siffler une chanson, pensant que ces bêtes, ravies de l’entendre, se mettraient en frais de politesse avec lui, en tirant la langue et remuant la queue.

     Mais ce sifflement, loin de les charmer, paru les inquiéter beaucoup, car l’un d’eux se détacha de la muraille, se mit à quatre pattes et, le suivant, encore qu’il marchât vite, le flaira à l’endroit où les chiens ont coutume de se flairer les uns les autres, pour savoir s’ils doivent être ennemis ou compagnons.

     Puis vint un second qui en fit autant, et un troisième, et un autre, et tous l’un après l’autre ; si bien qu’avant d’avoir dépasser le mur, le tailleur avait toutes ces bêtes à ses braies et ne sachant point si elles le voulaient manger ou fêter, il sentait ses jambes devenir molles comme des pattes de cousin. On pense bien qu’il n’avait plus envie de siffler ni chanter. Cependant il avançait toujours, ayant ouï dire que ces bêtes ne quittaient pas la longueur du mur où elles avaient coutume de faire la veillée, et il n’avait plus qu’environ cinq ou six pas à franchir, quand elles se mirent toutes devant lui, debout, grondant, puant la rage, et montrant des crocs jaunes à faire lever le cœur.

     Messieurs, Messieurs, laissez-moi passer, dit le pauvre tailleur en détresse. Je ne vous veux point de mal, ne m’en faites donc point.

     Mais les lupins grognaient de plus belle et même rugissaient comme des lions. Il semblait que la voix humaine les eût mis en grand émoi et en mauvaise colère.

    Tout à coup, le tailleur eut une idée : — Messieurs, fit-il, ne me mangez point ! Je suis maigre et vilain comme vous voyez ! Si vous m’épargnez, je jure de vous apporter ici, demain, un mouton gras dont vous vous lécherez les babines.

     Aussitôt les lupins se remirent sur leurs quatre pattes sans mot dire, et le tailleur passa, toujours courant, sans regarder derrière lui.

     Il se jeta au lit, tout transi de peur, et eut la fièvre huit jours durant sans pouvoir sortir du lit, battant la campagne, et toujours s’imaginant de voir des loups ou des chiens enragés après lui, si bien qu’on fit venir Monsieur le Curé, pour tâcher de le tranquilliser.

     Mais quand le curé l’eut confessé de sa peine et bien grondé d’avoir été si lâche que de promettre un bon mouton à ces sales diables, on entendit autour de la maison du tailleur des hurlements abominables, et tout le village put voir sur les murs de cette maison, non pas le corps des lupins, ils n’eussent osé venir si près d’un lieu où était le curé de la paroisse, mais leur ombre si bien dessinée que les cheveux en dressaient sur la tête et que le sang était glacé dans le cœur. On eût dit que cela passait en nuages sur la lune, et on les voyait remuer, sauter, gratter la terre et se mordiller les uns les autres, en figures aussi nettes qu’une image peinte, sur le pignon du tailleur, voire sur les maisons voisines.

     Et cela revint tous les soirs durant toute la semaine, de quoi tout le monde, et mêmement M. le Curé, fut très effrayé.

     Pourtant le bossu, qui n’était pas bête, voyant qu’il y avait là de la diablerie et que les exorcismes de Monsieur le Curé ne pouvaient rien contre des apparences qui n’avaient point de corps, résolut d’attirer les lupins en personne au moyen d’un piège, et dès qu’il fut en état de se lever, il se fit prêter un beau mouton gras qu’il attacha le soir, devant sa porte. Puis ayant prévenu le Curé de se tenir là tout prêt avec son goupillon et tous les voisins de se cacher sous le buisson de son jardin, avec leurs fusils bien chargés de balles bénites, il commença de faire bêler le mouton en lui montrant de la feuille verte, placée trop loin de lui pour qu’il pût y toucher.

     Alors les lupins entendant cela, ne purent se tenir de quitter leur mur et de venir, à petits pas de loups, jusqu’en vue de la maison, où ils furent si bien reçus qu’ils se sauvèrent tous, sauf une vieille femelle qui reçut une balle dans le cœur et tomba par terre en criant d’une voix humaine : La lune est morte, la lune est morte !

     On ne sut jamais ce qu’elle avait voulu dire, sinon qu’elle avait une lune blanche au front et que, dans la bande, elle portait peut-être le nom de la lune. On lui coupa la tête et les pattes qui ont été vues longtemps clouées sur la porte du cimetière de Saint-Bault, et où jamais les lupins n’ont osé reparaître depuis.

     IL faisait nuit quand nous regagnâmes notre chambre, sans problème toutefois, sans rencontrer les lubins ou les laveuses de la nuit, ces mères infanticides qui lavent et relavent sans cesse ce qui semble des linges mais qui sont les cadavres de leurs enfants. Brr...

     Le lendemain, nous sommes allés dans le bois de Chanteloube (cela signifie « chantent les loups »). Il était tellement redouté qu’on n’y pénétrait pas la nuit sous peine de ne pouvoir en sortir qu’au petit matin. On tourne, on tourne, sans pouvoir retrouver son chemin. Vous avez reconnu le lieu du roman « La mare au diable ». George Sand a écrit ce roman en quatre nuits. À noter que dans ce roman, George Sand met en scène une de ses domestiques, Françoise Meillant, qui servit de modèle à Delacroix pour son tableau « L’éducation de la Vierge ».

     D’habitude la mare (qui a été coupée en deux par le chemin, a un peu d’eau. On entend les grenouilles. Ce jour-là, elle était à sec.

    Clic sur la photo pour lire cet extrait de La mare au diable.

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     une vidéo racontant les laveuses de nuit

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